Proposition de loi sur le PLUi du Bas Chablais : Une procédure législative inacceptable

Mardi 31 janvier, je suis intervenu lors de la discussion générale, au nom du groupe Socialiste, Ecologiste et Républicain, sur une proposition de loi visant à régulariser le PLUi de la Communauté de communes du Bas Chablais.

Pour la première fois depuis le début de mon mandat de parlementaire, il a nous été demandé de nous positionner sur les documents d’urbanisme d’une seule et unique collectivité.

Dès l’inscription de ce texte à l’ordre du jour du Sénat, nous avons fait part de notre étonnement sur l’examen national d’un enjeu aussi local, alors même que le Parlement ne dispose pas du moindre droit d’ingérence dans des projets territoriaux de cet ordre.

Comme j’ai pu le souligner lors de mon intervention, l’examen d’une telle proposition de loi risque de créer un précédent tant les problématiques d’urbanisme sont nombreuses dans les territoires, et va impacter la crédibilité du Sénat auprès des collectivités.

De plus, cette proposition de loi, qui vise à revenir sur un PLUi pour permettre la construction du dernier tronçon de 16,5 km de l’autoroute A400 entre Machilly et Thonon (Haute-Savoie), implique de contourner l’ensemble des procédures environnementales et de concertation des citoyens.

Le soutien du Gouvernement à un tel texte montre une nouvelle fois, son manque de considération pour le Parlement et le débat public.

C’est la raison pour laquelle avec notre chef de file sur ce texte, Christian Redon-Sarrazy, nous avons décidé de ne pas prendre part au vote sur cette proposition de loi pour manifester notre opposition à ce type de manœuvre légistique.

L’intégralité de mon intervention :

J’associe à l’ensemble de mon propos, notre collègue Christian Redon-Sarrazy, chef de file de notre groupe sur ce texte.

Une fois n’est pas coutume, je vais exprimer au nom de mon groupe des explications de « non-vote » sur cette proposition de loi visant à régulariser le PLUi de la Communauté de communes du Bas Chablais.

C’est un choix rare, mais qui s’impose aujourd’hui.

Il va sans dire que l’inscription de ce texte à l’ordre du jour de notre Assemblée par la droite sénatoriale nous a grandement étonnés.

Comportant un seul article, cette proposition de loi prévoit que les dispositions du décret du 24 décembre 2019 déclarant d’utilité publique le projet de liaison autoroutière entre Machilly et Thonon et portant mise en compatibilité des documents d’urbanisme, prévalent sur les dispositions contraires du PLUi du Bas-Chablais approuvé par le conseil communautaire de Thonon agglomération le 25 février 2020.

L’objectif de cette manœuvre légistique est de permettre la construction du dernier tronçon de 16,5 km de l’autoroute A400, qui désenclaverait les communes de ce territoire du Chablais.

Le PLUi du Bas-Chablais, en cours d’élaboration au moment de l’adoption du décret, n’a in fine pas pris en compte la réalisation de cette autoroute et annulé toutes les mises en conformité et la réservation des espaces concernés par les travaux.

L’agglomération de Thonon a donc ouvert une demande de modification simplifiée du PLUi et saisi la Mission Régionale d’Autorité Environnementale Auvergne Rhône-Alpes d’une demande d’examen au cas par cas.

Sans doute contre les attentes de Thonon Agglomération, la MRAE a décidé de soumettre cette procédure à une évaluation environnementale. Pour engager ce projet d’autoroute, il faudrait donc réviser ce PLUi dans le respect des procédures prévues, notamment en fournissant une information éclairée au public, quitte à générer un nouveau retard.

Parce que Thonon Agglomération souhaite éviter une telle éventualité et de nouveaux blocages, les deux sénateurs LR de Haute-Savoie ont donc sollicité le Sénat pour « régulariser » ce projet et forcer la révision de ce PLUi en invoquant un motif d’intérêt général.

Mes chers collègues, prenons un peu de recul sur une telle proposition de loi : nous avons tous dans nos territoires des cas particuliers ou difficiles à régler en matière d’urbanisme.

On peut imaginer que chacun d’entre nous s’inspire de nos deux collègues… Imaginez un peu l’allure que prendrait alors notre ordre du jour !

Plus sérieusement, cette proposition de loi porte atteinte à plusieurs principes constitutionnels et à la crédibilité de notre institution.

Le but d’intérêt général évoqué par cette PPL ne présente aucune dimension constitutionnelle, mais une volonté clairement affichée d’accélérer un projet en contournant les règles en vigueur relatives à l’évaluation environnementale.

Elle ne respecte ni l’obligation de vigilance à l’égard des atteintes à l’environnement, ni la participation du public induite par la procédure d’évaluation environnementale, ni le droit au recours.

Par ailleurs, requérir la procédure législative pour régler une situation strictement locale est invraisemblable.

Le Sénat ne dispose pas du moindre droit d’ingérence dans des projets territoriaux de cet ordre.

Comment peut-on valider un tel contournement des procédures habituelles, notamment en termes d’impact environnemental et de consultation des citoyens ?

Comment peut-on demander au Sénat, Chambre des territoires, de passer outre les prérogatives des collectivités sur leurs documents d’urbanisme ?

Comment, chers collègues, croyez-vous que cette manœuvre sera perçue par les élus locaux, quel que soit leur département ? N’est-ce pas là une grave atteinte à la crédibilité de notre institution ?

Ce texte est naturellement soutenu par les deux sénateurs du département de la Haute-Savoie, par la majorité sénatoriale, mais aussi, et on doit le souligner, par le Gouvernement.

En dépit de ses irrégularités, il a donc de fortes chances d’être adopté à l’Assemblée nationale.

C’est un exemple supplémentaire du mépris du Gouvernement à l’égard du Parlement. On y adopte des lois essentielles sans vote, on y régularise des dossiers locaux… Bientôt, le Gouvernement ne s’embarrassera même plus de nous consulter sur quoi que ce soit !

Voter ce texte créera un dangereux précédent dans la régularisation des projets territoriaux, confirmant la négation des prérogatives des communes, le peu de cas qui est fait de l’opinion de nos concitoyens, ou des procédures en matière de défense de l’environnement, alors que nous ne pouvons plus nous permettre de les ignorer.

Cette manœuvre nie enfin toute idée de participation collective à l’élaboration de projets qui concernent pourtant en premier lieu les usagers.

Voter contre ou s’abstenir sur ce texte reviendrait à cautionner la sollicitation du Sénat en la matière. Pour toutes les raisons que j’ai évoquées, vous aurez compris qu’il nous est impossible, par respect pour notre institution, de le faire.

Dans un refus de décrédibiliser le Sénat, le groupe socialiste, écologiste et républicain ne prendra donc pas part au vote sur cette proposition de loi.

Facebook